Entretien avec Docteur Raymond Brou, Conseiller Technique du Ministre de la Santé et de l’Hygiène Publique de Côte d’Ivoire
Entretien avec Docteur Raymond Brou, Conseiller Technique du Ministre de la Santé et de l’Hygiène Publique de Côte d’Ivoire
La réponse de la Côte d’Ivoire contre la pandémie de la COVID-19 en a fait un modèle pour d’autres pays à revenu intermédiaire. Selon Gavi, l’Alliance du Vaccin, « Face à une urgence historique, la Côte d’Ivoire a priorisé la vaccination à tous les niveaux, en faisant en sorte que les programmes de routine restent sur la bonne voie en parallèle des efforts de vaccination contre la COVID-19. En soutenant des campagnes intégrées qui étaient capables d’atteindre les personnes avec plusieurs vaccins vitaux d’un seul coup, le pays a donné un exemple que la stabilité et la reprise sont des objectifs atteignables.
Docteur Raymond Brou a contribué à jouer un rôle essentiel dans cette réponse en tant que Conseiller Technique du Ministre de la Santé de Côte d’Ivoire. En 2018, il a reçu le soutien du Projet de Leadership Management et Gouvernance (LMG) mis en œuvre par MSH, dont le but était de renforcer les systèmes de santé afin de fournir des services plus réactifs en mettant en lumière des leaders inspirants, en établissant des systèmes de gestion solides et en faisant la promotion de pratiques de gouvernance efficaces. Nous avons parlé récemment avec lui de la façon dont il a utilisé certains des principes de leadership dans l’approche de son pays pour répondre à la crise posée par la COVID-19.
Comment avez-vous utilisé la formation en Leadership, Management et Gouvernance que vous avez reçu de la part de MSH pour répondre à la pandémie de la COVID-19 ?
Lorsque j’étais le Directeur Départemental de la Santé à Sakassou dans la région de Gbêkê à Bouaké, j’ai suivi ce programme de formation. J’ai appris que vous ne pouvez pas répondre aux besoins de la population sans que ces derniers soient à la table des discussions. Chaque fois que le niveau central, régional ou départemental fait des plans pour gérer la santé publique pour une population X, cette population X doit être informée. Nous devons être transparents avec eux.
J’ai gardé ce principe avec moi quand je suis devenu un conseiller du Ministre de la Santé. J’ai des réunions régulières avec les directeurs départementaux et je les encourage à parler librement. Rien ne doit rester tabou et personne n’est laissé de côté.
Par exemple, nous avons récemment fait des plans pour intensifier la campagne contre la COVID-19 sur une période de 10 jours. Au départ, nous avions prévu de cibler 21 districts dont le taux de couverture était de moins de 30%. L’un des directeurs a suggéré que, plutôt que de juste se focaliser sur ces districts, nous devions travailler avec tous les districts avec une couverture de moins de 50% afin de cibler plus de personnes et avoir plus de personnes vaccinées. Nous avons immédiatement accepté.
La formation en LMG m’a encouragé à travailler avec des responsables au niveau local, des ONG et des groupes religieux. Les activités de santé publique ne sont pas juste pour un petit groupe travaillant dans les hôpitaux. Elles doivent être ouvertes à tous, comprenant les journalistes, les ONG, les groupes de femmes et d’autres afin que tous puissent donner leur avis. Pour les activités de vaccination dans les marchés, les syndicats de marchands nous ont dit « nous n’avons pas le temps de nous faire vacciner. Le Ministre a besoin de trouver un moyen pour nous d’être vaccinés. » Nous avons écouté ce qu’ils avaient à nous dire et c’est ainsi que nous avons lancé l’initiative d’utiliser des camions mobiles médicalisés pour venir à eux au lieu de leur demander de venir à nous. Ces véhicules sont maintenant connus et surnommés « camions COVID » par la population.
Quels furent les principaux défis auxquels la Côte d’Ivoire a fait face lors de ces campagnes de vaccination contre la COVID-19 ?
Il y en a eu plusieurs, que ce soient les problèmes logistiques sur la manière d’acheminer les vaccins dans le pays, vu que nous ne les produisons pas nous-même, à la façon de les distribuer tout en respectant la chaîne du froid.
Nous devons également éduquer nos agents de santé sur la manière dont la COVID est liée à d’autres problèmes de santé et les aider à comprendre la gravité de la COVID comme maladie respiratoire. De plus, nous faisions face au défi du paiement de nos agents de santé pour leurs efforts continus sur le terrain pour l’administration des vaccins et nous devions trouver des moyens de communiquer au public et de sensibiliser sur l’importance de la vaccination.
Comment est-ce que la formation en LMG vous a aidé à répondre à ces défis ?
Pour parler du contexte, nous étions en contact avec AVAT et les ambassades des autres pays qui pouvaient donner des vaccins à la Côte d’Ivoire. 80% des 25 millions de doses de vaccin que nous avons reçu venaient de nos alliés en Europe, aux Etats-Unis et en Inde ainsi que nos pays voisins qui nous ont donné des doses non utilisées qui allaient expirer. Nous avons utilisé la chaîne du froid qui existait déjà pour d’autres vaccins (comme pour la rougeole ou la polio) et nous avons transporté les vaccins contre la COVID aux entrepôts de stockage régionaux une fois qu’ils avaient quitté Abidjan. Nous avons transporté les vaccins en utilisant les camions pick-up de chaque district afin d’aller le plus loin possible dans le district et enfin des motocyclettes afin de les acheminer même dans les villages les plus reculés.
Un des exemples de la façon dont j’ai inclus le principe de rendre les mesures de santé publique accessibles fut d’utiliser la musique et les styles de dance populaire afin de transmettre le message. Des groupes de jeunes ont aidé à traduire les messages du français dans les langues locales et se sont produits en soirée dans les restaurants afin de sensibiliser et motiver les personnes à se faire vacciner. A San-Pédro, nous avons vacciné 100 000 personnes en juste une semaine grâce à une tournée musicale.
La vaccination contre la COVID ne devrait pas être une activité administrative avec un protocole lourd. Elle doit être proche de la population. Le district d’Abobo est à présent la commune d’Abidjan la plus vaccinée. Mais comment avons-nous réalisé cela ? La population nous a demandé de garder les camions COVID sur les routes les plus fréquentées afin que, lorsque la population rentre du travail, les personnes puissent se mettre dans la queue pour se faire vacciner.
De plus, les revendeurs de ferrailles d’Abobo se sont organisés afin de demander aux autorités de leur envoyer les vaccins car ils ont compris que la COVID entravait le commerce dans leur zone. Grâce à ces initiatives, 70% des personnes sont à présent vaccinées à Abobo bien que cela soit l’une des communes les plus populaires et vulnérables.
Quelles leçons avez-vous apprises de cette expérience ?
Une des choses que j’ai vues est l’importance de la solidarité entre les différents pays et classes sociales pour faire face à la pandémie. La Côte d’Ivoire ne produit pas de vaccins mais nous avons vu le soutien de nos alliés qui nous en ont donnés. Quand l’USAID nous donne 1 000 000 de doses de vaccin, ces 1 000 000 de doses sauvent des vies parce que nous avons la capacité d’utiliser le million de doses qu’ils nous donnent.
Une autre leçon fut la nécessité de donner les autorisations au niveau de la task force de décentraliser la vaccination. Les points chauds de la pandémie peuvent être à Abidjan mais Abidjan n’est pas isolé du reste du pays. Nous avons vacciné Abidjan et le reste du pays au même moment.
Une troisième leçon fut de travailler avec d’autres secteurs. Nous avons bénéficié du travail effectué avec le secteur de l’éducation technique ainsi que le Ministère de la Jeunesse afin de toucher les jeunes. Du fait que la COVID n’était pas une maladie aussi connue que la tuberculose ou le VIH, la sensibilisation fut très importante. De cette manière, les personnes ne sont pas forcées de se conformer à des directives qu’ils ne comprennent pas.
Comment pouvons-nous conserver et institutionnaliser ces leçons apprises ?
Nous avons augmenté le nombre de professionnels ainsi que celui des agents de santé communautaires et nous sommes en train de travailler à la création de plus d’écoles pour former encore plus de travailleurs en santé. Nous avons également intégré la vaccination contre la COVID aux activités de vaccination de routine pour les enfants de 0 à 5, aux enfants en âge d’aller à l’école, aux femmes enceintes et les comorbides. La vaccination contre la COVID ne devrait pas être indépendante d’autres activités.
De plus, communiquer des faits exacts continuera d’être important et les médias, à la fois nationaux et internationaux, peuvent jouer un rôle important en nous aidant à sensibiliser sur l’importance de la vaccination et la lutte contre la désinformation. Mais nous avons également notre propre responsabilité pour répondre à la désinformation et nous utilisons les réseaux sociaux pour contrer les fausses informations qui peuvent être néfastes pour la santé des personnes.
Enfin, nous souhaitons accroître la production de vaccins et médicaments en Côte d’Ivoire afin que, lors de la prochaine crise, nous pouvons produire nos propres vaccins et médicaments plutôt que d’attendre des dons.